- Christian Paul ANDRÉ
- 14 ene 2022
- 15 Min. de lectura
Actualizado: 15 ene 2022

Le 14 Janvier, c'était la Sainte NINA
Cauchemar écologique de fin du Monde
Regards d'ailleurs


Je ne sais pas pourquoi le 14 janvier, c’est la Sainte Nina. Je l’ignorais. Nina est le diminutif de Christiane (je m’appelle Christian). C’est un hasard de l’écriture et de la pensée.
Il y a des jours, sans qu’on ne sache pourquoi, le hasard nous fait trouver des trésors. Alors il nous vient l’envie de le partager avec d’autres. A l’ombre d’une retraite qui rafraîchit enfin une vie surchauffée, on se livre au plaisir de faire ce que l’on n’a pas eu le temps de faire.
Triant mes vieux papiers que je n’ai jamais eu le temps d’apprécier dans une vie professionnelle dont le seul mérite est de m’avoir fait bien vivre sans savoir si cela était par intelligence ou hasard, j’ai découvert un trésor.
Ce petit bout de papier à l’apparence banal, jauni par le temps, signé par un certain Eugène MOUTON s’était faufilé au gré du hasard dans le monceau de lettres autographes, achetées pendant toute une vie en courant les salles de vente. Ces achats ont toujours assouvi mon esprit curieux et avide de savoir. L’autographe procurant une proximité toujours présente avec son envoyeur malgré de temps qui passe. C’est un document toujours réel.
Il est temps de le partager avec vous.

Eugène MOUTON est un avocat, écrivain peu connu du 19ème siècle mais c’est surtout un magistral humoriste et écrivain de science-fiction, oublié mais précurseur de la pensée écologique. Nous n’avons rien appris de plus que ce qu’il écrit il y a plus de 150 ans !
Lorsque j’écoute, le programme « maigre » de certains candidats de la campagne présidentielle qui remplit nos actualités de propos belliqueux cherchant à nous gouverner par la peur et pas par la réflexion, je me dis qu’ils devraient prendre de la graine simple chez MERINOS, qui est le pseudonyme d’auteur d’Eugène Mouton dont l’humour voulu qu’il soit aussi fin que la laine du même nom.
Il semble ne pas s'être pas laisser faire les idées de son temps. Il apporta un peu de réflexion à la vie. « Laisse pisser le mérinos » signifie « laisse faire ». MERINOS ne se laissa jamais endormir par les illusions de l’industrialisation. Il anticipait déjà nos catastrophes.

MERINOS parle du réchauffement climatique avant l’heure et c’est cela qui est une perle et un trésor, 150 ans avant ! Jules Verne en porte la responsabilité, nous ayant fait trop voyager dans le monde de la technologie naissante piratée par des mégalomanes. On y lira tout : les méfaits de l’industrialisation, la fuite en avant de la consommation, l’extension du règne animal et la mal bouffe, la problématique des flux migratoires, l’expansion des mégalopoles à outrance, la disparition de l’eau et des mers. Tout y est.
Le constat est simple le globe terrestre n’a pas toujours existé. Il a commencé et donc finira.
Quand ? Voilà la question.
La terre mourra-t-elle de vieillesse ou de maladie ? Il dit de maladie et cherchant l’agent exterminateur. Il prophétise que ce sera la CHALEUR, celle qui boira la mer, mangera la Terre et voici : comment cela arrivera.
Je laisse au lecteur le découvrir. Ce qu'il a écrit suit mon texte.

Et nous maintenant que choisissons-nous ?

Je jette mon regard vers le monde virtuel que nous construisons et qui nous alimente d’une nourriture spirituelle, sans loi, où les valeurs se font et se défont au gré de l’ouï-dire et de l’instantanéité de nos pulsions.
Je pense à l’apprentissage de notre culture dont, la seule lecture par le plus grand nombre des premières lignes de Wikipédia, réduit le champ de la pensée, sans murir la réflexion de ce qui est lu, sans approfondir pour laisser place à l’irrationnel, au complot, à la déraison, au café du commerce à toute heure.
Je crains les Bitcoins spéculateurs qui ne pouvant plus nous faire acheter des substances tangibles nous convient à investir dans l’image d’un appartement ou d’une carte de football. Je crains la dictature des Big Five, les « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) dont le seul rêve est de battre monnaie, remplacer nos banques et donc nos Etats.
Je regarde dubitativement ces TIK-TOK éphémères dans lesquels on impose de vivre sur des images sélectionnées par des géomaticiens et des Web-évangélistes sur des ordinateurs.

Je suis saisi des explications futiles des Youtubeuses, aux lèvres russes chirurgicales, vantant les mérites de tel maquillage ou de recettes culinaires, poussant à la consommation dans un univers où nous devons la restreindre pour mieux vivre ensemble. Je suis apeuré par ces Youtubeurs violent qui appellent par la musique à la violence, au luxe poussé à la luxure, inaccessible au pauvre ère qui vagabonde sur le net.

Je me dis que ça chauffe dans les cerveaux du Monde. Je me dis que le danger climatique est dans la surchauffe de nos neurones et pas seulement dans les ordinateurs et dans la nature.
Le survoltage de nos neurones, c’est l’enfer.
Un monde sans humanité et sans réalité, c’est la fin du Monde n’est-ce pas ?
C’était la Sainte Nina, aujourd’hui.

LA FIN DU MONDE.
par Merinos (1823-1902)
(Pierre Martin Désiré) Eugène Mouton, pseudonyme de Mérinos, est un magistrat et écrivain humoristique et fantastique français
Et le monde finira par le feu.
De toutes les questions qui intéressent l'homme, il n'en est pas de plus digne de ses recherches que celle des destinées de la planète qu'il habite. La géologie et l'histoire nous ont appris bien des choses sur le passé de la Terre : nous savons au juste, à quelques millions de siècles près, l'âge de notre globe ; nous savons dans quel ordre les développements de la vie se sont progressivement manifestés et propagés à sa surface ; nous savons à quelle époque l'homme est venu enfin s'asseoir à ce banquet de la vie préparé pour lui, et dont il avait fallu plusieurs milliers d'années pour mettre le couvert.
Nous savons tout cela, ou du moins nous croyons le savoir, ce qui revient exactement au même : mais si nous sommes fixés sur le passé, nous ne le sommes pas sur l'avenir. L'humanité n'en sait guère plus sur la durée probable de son existence, que chacun de nous n'en sait sur le nombre d'années qu'il lui reste à vivre :
La table est mise,
La chère exquise,
Que l'on se grise !
Trinquons, mes amis !
Fort bien : mais en sommes-nous au potage, ou au dessert ? Qui nous dit, hélas ! qu'on ne va pas servir le café tout à l’heure ?
Nous allons, nous allons, insouciants de l'avenir du monde, sans jamais nous demander si par hasard cette barque frêle qui nous porte à travers l'océan de l'infini ne risque pas de chavirer tout à coup, ou si sa vieille coque, usée par le temps et détraquée parles agitations du voyage, n'a pas quelque voie d'eau par où la mort, goutte à goutte, s'infiltre dans cette carcasse, qui est la car casse même de l'humanité, entendez-vous !
Le monde, c'est-à-dire pour nous le globe terrestre, n'a pas toujours existé. Il a commencé, donc il finira. Quand, voilà la question.
Et tout d'abord demandons-nous si le monde peut finir par un accident, par une perturbation des lois actuelles. Nous ne saurions l'admettre. Une telle hypothèse, en effet, serait en contradiction absolue avec l'opinion que nous entendons soutenir dans ce travail. Il est dès-lors bien clair que nous ne pouvons l'adopter. Toute discussion serait en effet impossible si l'on admettait l'opinion qu'on s'est proposé de combattre.
Ainsi voilà un premier point parfaitement établi : la Terre ne sera pas détruite par accident ; elle finira par suite de l'action même des lois de sa vie actuelle : elle mourra, comme on dit, de sa belle mort. Mais mourra-t-elle de vieillesse ? Mourra-t-elle de maladie ? Je n'hésite pas à répondre : Non, elle ne mourra pas de vieillesse ; oui, elle mourra de maladie. Par suite d'excès.
J'ai dit que la Terre finira par suite de l'action même des lois de sa vie actuelle. Il s'agit maintenant de rechercher quel est, de tous ces agents fonctionnant pour l'entretien de la vie du globe terraqué, celui qui est appelé à la détruire un jour.
Je le dis sans hésiter : cet agent, c'est celui-là même auquel la Terre a dû primitivement son existence : c'est la chaleur. La chaleur boira la mer ; la chaleur mangera la Terre : et voici comment cela arrivera.
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Un jour, regardant fonctionner des locomotives, l'illustre Stephenson demandait à un grand chimiste anglais quelle était la force qui faisait mouvoir ces machines. Le chimiste répondit : « C'est le soleil. »
Et en effet toute la chaleur que nous mettons en liberté lorsque nous brûlons des combustibles végétaux, bois ou charbon, a été emmagasinée là par le soleil : un morceau de bois, un morceau de charbon, n'est donc, au pied de la lettre, autre chose qu'une conserve de rayons solaires. Plus la vie végétale se développe et plus il y a accumulation de ces conserves. Si on en brûle beaucoup et qu'on en crée beaucoup, c'est-à-dire si la culture et l'industrie se développent, l'emmagasinement, d'une part, la mise en liberté, de l'autre, des rayons du soleil absorbés par la Terre, iront sans cesse en augmentant, et la Terre devra s'échauffer d'une manière continue.
Que sera-ce si la population animale, si l'espèce humaine à son
tour, suivent le même progrès ? Que sera-ce si des transformations
considérables, nées du développement même de la vie animale à la surface du globe, viennent modifier la structure des terrains, déplacer le bassin des mers, et rassembler l'humanité sur des continents à la fois plus fertiles et plus perméables à la chaleur solaire ?
Or c'est précisément ce qui va arriver.
Lorsqu'on compare le monde à ce qu'il était autrefois, on est tout de suite frappé d'un fait qui saute aux yeux : ce fait, c'est le développement de la vie organique sur le globe. Depuis les sommets les plus élevés des montagnes jusqu'aux gouffres les plus profonds de la mer, des millions de milliards d'animalcules, d'animaux, de cryptogames ou de plantes supérieures, travaillent jour et nuit, depuis des siècles, comme ont travaillé ces foraminifères qui ont bâti la moitié de nos continents.
Ce travail allait assez vite déjà avant l'époque où l'homme apparut sur la Terre ; mais depuis l'apparition de l'homme il s'est développé avec une rapidité qui va tous les jours s'accélérant.
Tant que l'humanité est restée parquée sur deux ou trois points de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique, on n'y a pas pris garde, parce que, sauf ces quelques foyers do concentration, la vie générale était encore à l'aise pour déverser sur les espaces libres le trop plein accumulé sur certains points de la terre civilisée : c'est ainsi que la colonisation a peuplé de proche en proche des contrées jusqu'alors inhabitées et vierges de toute culture. Alors a commencé la première phase du progrès de la vie par l'action humaine : la phase agricole.
On a marché dans ce sens pendant six siècles environ. Mais on a découvert les grands gisements de houille, et presque en même temps la chimie et la vapeur : la Terre est entrée alors dans la phase industrielle, qui ne fait que commencer puisqu'elle n'a guère plus de soixante ans.
Mais où ce mouvement nous mène, et de quel train nous y arriverons, c'est ce qu'il est facile de présumer d'après ce qui se passé déjà sous nos yeux.
Il est évident, pour qui sait voir les choses, que depuis un demi-siècle, tout, bêtes et gens, tend à se multiplier, à foisonner, à pulluler dans une proportion vraiment inquiétante. On mange davantage, on boit d’avantage, on élève des vers à soie, on nourrit des volailles et on engraisse des bœufs.
En même temps on plante de tous les côtés ; on défriche, on in-
vente des assolements fécondants et des cultures intensives ; on
compose des engrais artificiels qui doublent le rendement nos terres ; on ne se contente pas de ce que produit la terre, et on sème à pleines mains, dans nos rivières, des saumons à cinq francs la dalle, et dans nos golfes, des huîtres à vingt-quatre sous la douzaine.
Pendant ce temps, on fait fermenter d'énormes quantités de vin, de bière, de cidre; on distille de véritables fleuves d'eau-de-vie, et puis on brûle des millions de tonnes de houille, sans compter qu'on perfectionne incessamment les appareils de chauffage, qu'on calfeutre de plus en plus les maisons, et qu'enfin on fabrique tous les jours à meilleur marché les étoffes de laine et de coton dont l'homme se sert pour se tenir chaud.
A ce tableau déjà suffisamment sombre il convient d'ajouter les développements insensés de l'instruction publique, qu'on peut considérer comme une source de lumière et de chaleur, car si elle n'en dégage pas par elle-même, elle on multiplie la production en donnant à l'homme les moyens de perfectionner et d'étendre son action sur la nature.
Voilà où nous en sommes ; voilà où nous a conduits un seul demi-siècle d'industrialisme : évidemment il y a dans tout cela des symptômes manifestes d'une exubérance prochaine, et on peut dire qu'avant cent ans d'ici la Terre prendra du ventre. Alors commencera la redoutable période où l'excès de la production amènera l'excès de la consommation : L'EXCÈS DE LA CONSOMMATION, L'EXCÈS DE CHALEUR, ET L'EXCES DE CHALEUR LA COMBUSTION SPONTANÉE DE LA TERRE ET DE TOUS SES HABITANTS.
Il n'est pas difficile de prévoir la série des phénomènes qui conduiront le globe, de degrés en degrés, à cette catastrophe finale. Quelque navrant que puisse être le tableau de ces phénomènes, je n'hésiterai pas à le tracer, parce que la prévision de ces faits, en éclairant les générations futures sur le danger des excès de la civilisation, leur servira peut-être à modérer l'abus de la vie et à reculer de quelques milliers d'années, ou tout au moins de quelques mois, la fatale échéance.
Voici donc ce qui va se passer.
Pendant une dizaine de siècles, tout ira de mieux en mieux. L'industrie surtout marchera à pas de géant. On commencera par épuiser tous les gisements de houille ; puis toutes les sources de pétrole ; puis on abattra toutes les forêts ; puis on brûlera directement l'oxygène de l'air et l'hydrogène de l'eau.
A ce moment-là il y aura sur la surface du globe environ un milliard de machines à vapeur de mille chevaux en moyenne, soit mille milliards de chevaux-vapeur fonctionnant nuit et jour.
Tout travail physique est fait par dos machines ou par des animaux : l'homme ne le connaît plus que sous la forme d'une gymnastique savante, pratiquée uniquement comme hygiène.
Mais tandis que ses machines lui vomissent incessamment des torrents de produits manufacturés, de ses usines agricoles sort à flots pressés une foule de plus en plus compacte de moutons, de poulets, de bœufs, de dindons, de porcs, de canards, de veaux et d'oies, tout cela crevant de graisse, bêlant, gloussant, mugissant, glougloutant, grognant, nasillant, beuglant, sifflant, et demandant à grands cris des consommateurs !
Or, sous l'influence d'une alimentation de plus en plus abondante, de plus en plus succulente, la fécondité des races humaines et des races animales va de jour en jour s'accroissant.
Les maisons s'élèvent étage par étage ; on supprime d'abord les jardins, puis les cours. Los villes, puis les villages, commencent à projeter peu à peu des lignes de faubourgs dans toutes les directions ; bientôt des lignes transversales réunissent ces rayons.
Le mouvement progresse ; les villes voisines viennent à se toucher. Paris annexe Saint-Germain, Versailles, puis Beauvais, puis Châlons, puis Orléans, puis Tours ; Marseille annexe Toulon, Draguignan, Nice, Carpentras, Nîmes, Montpellier ; Bordeaux, Lyon et Lille se partagent le reste, et Paris finit par annexer Marseille, Lyon, Lille et Bordeaux.
Et de même dans toute l'Europe, de même dans les quatre autres parties du monde.
Mais en même temps s'accroît la population animale. Toutes les espèces inutiles ont disparu : il nous reste plus que des bœufs, des moutons, des chevaux et de la volaille. Or, pour nourrir tout cela il faut des espaces libres à cultiver, et la place commence à manquer. On réserve alors quelques terrains pour la culture, on y entasse des engrais, et là, couchées au milieu d'herbages de six pieds de hauteur, on voit se rouler des races inouïes de moutons et de bœufs sans cornes, sans poils, sans queue, sans pattes, sans os, et réduits par des éleveurs à n'être plus qu'un monstrueux beefsteak alimenté par quatre estomacs insatiables !
Pendant ce temps, dans l'hémisphère austral, une révolution formidable va s'accomplir. Que dis-je ? A peine cinquante mille ans se sont écoulés, et la voilà faite.
Les polypiers ont réuni ensemble tous les continents et toutes les îles de l’océan Pacifique et des mers du Sud : l'Amérique, l'Europe, l'Afrique, ont disparu sous les eaux de l’océan ; il n'en reste plus que quelques îles formées des derniers sommets des Alpes, des Pyrénées, des buttes Montmartre, des Carpathes, de l'Atlas, des Cordillères ; l'humanité, reculant peu à peu devant la mer, s'est répandue sur les plaines incommensurables que l'océan abandonnées. Elle y a apporté sa civilisation foudroyante ; déjà, comme sur les anciens continents, l'espace commence à lui manquer.
La voilà dans ses derniers retranchements : c'est là qu'elle va lutter contre l'envahissement de la vie animale. C'est là qu'elle va périr !
Elle est sur un terrain calcaire ; elle fait passer incessamment à l'état de chaux une masse énorme de matières animalisées ; cette masse, exposée aux rayons d'un soleil torride, emmagasine incessamment de nouvelles unités de chaleur, pendant que le fonctionnement des machines, la combustion des foyers et le développement de la chaleur animale, élèvent incessamment la température ambiante.
Et pendant ce temps la production animale continue à s’accroître ; et il arrive un moment où l'équilibre étant rompu, il devient manifeste que la production va déborder la consommation.
Alors commence à se former, sur l'écorce du globe, d'abord presque une pellicule, puis une couche appréciable de détritus irréductibles : la Terre est saturée de vie.
La fermentation commence.
Le thermomètre monte, le baromètre descend, l'hygromètre marche vers zéro. Les fleurs se fanent, les feuilles jaunissent, les parchemins se recroquevillent : tout sèche et devient cassant.
Les animaux diminuent par l'effet de la chaleur et de l'évaporation. L'homme à son tour maigrit et se dessèche ; tous les tempéraments se fondent en un seul, le bilieux ; et le dernier des lymphatiques offre avec larmes sa fille et cent millions de dot au dernier des scrofuleux, qui n'a pas un sou de fortune, et qui refuse par orgueil !
La chaleur augmente et les sources tarissent. Les porteurs d'eau s'élèvent par degrés au rang de capitalistes, puis de millionnaires, si bien que la charge de Grand Porteur d'Eau du prince finit par devenir une des premières dignités de l'État. Toutes les bassesses, toutes les infamies qu'on voit faire aujourd'hui pour une pièce d'or, on les fait pour un verre d'eau, et l'Amour lui-même, abandonnant son carquois et ses flèches, les remplace par une carafe frappée.
Dans cette atmosphère torride, un morceau de glace se paye par vingt fois son poids de diamants ! L'empereur d'Australie, dans un accès d'aliénation mentale, se fait faire un tutti frutti qui lui coûte une année de sa liste civile ! ! ! Un savant fait une fortune colossale en obtenant un hectolitre d'eau fraîche à 45 degrés ! ! ! !
Les ruisseaux se dessèchent ; les écrevisses, se bousculant tumultueusement pour courir après ces filets d'eau tiède qui les abandonnent, changent, chemin faisant, de couleur, et tournent à l'écarlate. Les poissons, le cœur affadi et la vessie natatoire distendue, se laissent aller vers les fleuves, le ventre en l'air et la nageoire inerte.
Et l'espèce humaine commence à s'affoler visiblement. Des
passions étranges, des colères inouïes, des amours foudroyantes. Des plaisirs insensés, font de la vie une série de détonations furieuses, ou plutôt une explosion continue, qui commence à la naissance et qui ne finit qu'à la mort. Dans ce monde torréfié par une combustion implacable, tout est roussi, craquelé, grillé, rôti, et après l'eau, qui s'évapore, on sent diminuer l'air, qui se raréfie.
Effroyable calamité ! les rivières à leur tour et les fleuves ont disparu : les mers commencent à tiédir, puis à s'échauffer : les voilà qui déjà mijotent comme sur un feu doux.
D'abord les petits poissons, asphyxiés, montrent leur ventre à la surface ; viennent ensuite les algues, que la chaleur a détachées du fond ; enfin s'élèvent, cuits au bleu et rendant leur graisse par larges taches, les Requins, les Baleines, et la Pieuvre énorme, et le Kraken cru fabuleux, et le Serpent de mer trop contesté ; et de ces graisses, de ces herbes et de ces poissons cuits ensemble, l'océan qui fume fait une incommensurable bouillabaisse.
Une écœurante odeur de cuisine se répand sur toute la terre habitée ; elle y règne un siècle à peine : l'océan s'évapore et ne laisse plus de son existence d'autre trace que dos arêtes de poissons éparses sur des laines désertes.
La fin commence.
Sous la triple influence de la chaleur, de l'asphyxie et de la dessiccation, l'espèce humaine s'anéantit peu à peu : l'homme s'effrite, s'écaille, et au moindre choc tombe par morceaux. Il ne lui reste plus, pour remplacer les légumes, que quelques plantes métalliques qu'il parvient à faire pousser à force de les arroser de vitriol ! Pour étancher la soif qui le dévore, pour ranimer son système nerveux calciné, pour liquéfier son albumine qui se coagule, il n'a plus d'autres liquides que l'acide sulfurique ou l'eau-forte.
Vains efforts.
A chaque souille de vent qui vient agiter cette atmosphère anhydre, des milliers de créatures humaines sont desséchées instantanément ; et le cavalier sur son cheval, l'avocat à la barre, le juge sur son siège, l'acrobate sur sa corde, l'ouvrière à sa fenêtre, le roi sur son trône, s'arrêtent momifiés !
Et alors vient le dernier jour.
Ils ne sont plus que trente-sept, errants comme des spectres d'amadou au milieu d'une population effroyable de momies qui les regardent avec des yeux semblables à des raisins de Corinthe. Et ils se prennent les mains, et ils commencent une ronde furieuse, et à chaque tour un des danseurs trébuche et tombe mort avec un bruit sec. Et le trente-sixième tour fini, le survivant demeure seul en face de ce monceau misérable où sont rassemblés les derniers débris de la race humaine !
Il jette un dernier regard sur la Terre ; il lui dit adieu au nom de nous tous, et de ses pauvres yeux brûlés tombe une larme, la dernière larme de l'humanité. Il la recueille dans sa main, il la boit, et il meurt en regardant le ciel.
Pouff!!!
Une petite flamme bleuâtre s'élève en tremblotant ; puis deux, puis trois, puis mille. Le globe entier s'embrase, brûle un instant,
s'éteint.
Tout est fini : la Terre est morte.
Morne et glacée, elle roule tristement dans les déserts silencieux de l’infini ; et de tant de beauté, de tant de gloire, de tant de joies, de tant de larmes, de tant d'amours, il ne reste plus qu'une petite pierre calcinée, errant misérable à travers les sphères lumineuses
des mondes nouveaux.
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Adieu, Terre ! Adieu, souvenirs touchants de nos histoires, de notre génie, de nos douleurs et de nos amours !
Adieu, Nature, toi dont la majesté douce et sereine nous consolait si bien de nos souffrances !
Adieu, bois frais et sombres, où pendant les belles nuits d'été, à la lumière argentée de la lune, on entendait chanter le rossignol !
Adieu, créatures terribles et charmantes qui meniez le monde avec une larme ou un sourire, et que nous appelions de noms si doux !
Ah ! puisqu'il ne reste plus rien de vous, tout est bien fini :
LA TERRE EST MORTE